Vitesse

Comment ai-je fait pour consacrer un épisode du podcast sur la lenteur ? Je ne l’ai jamais réécouté, mais je me souviens tout de même avoir un jour publié un épisode sur le sujet. J’avais même étudié quelques livres, proposé une séance du séminaire sur ce thème et défendu la perspective d’un temps épais. À la différence d’un temps survolé, continûment absorbé par la projection mentale de l’instant suivant. Et résister à cette forme d’aliénation – perte de la capacité à vivre le présent, perte de soi dans des pressions temporelles – me semble bien aujourd’hui une priorité pour tout projet d’émancipation, individuelle et collective.

Tout de même… en marchant vite tout à l’heure, en organisant en moins d’une heure une série de courses à boucler avant l’arrivée des enfants, en repensant à mes rêves enfantins de Formule 1, aux moments de satisfaction que l’on peut avoir lorsque, pour une raison ou pour une autre, on doit (donc on peut) aller plus vite que le rythme usuel, je constate que la rapidité peut faciliter l’expérience d’un temps épais. Elle permet d’éliminer toutes sortes d’hésitations et de diversions. À vrai dire, elle ne me donne pas seulement le sentiment grisant que l’on rapporte souvent au plaisir de la vitesse. C’est autre chose : le droit de se focaliser sur une priorité sans considération pour le tempo des autres. Le droit de se désynchroniser, non pour ralentir, mais pour aller vite. Et paradoxalement, cette forme de vitesse m’apaise par le resserrement de l’attention qu’elle favorise.

Évidemment, je ne fais pas l’éloge de l’accélération, l’accélération au sens si bien travaillé par H. Rosa. Pour pouvoir se focaliser sur une priorité, il faut précisément ne pas avoir à subir un morcellement du temps aussi rationalisé qu’organiquement absurde. Il faut aussi ne pas perdre sa vigueur à mimer l’agitation censée témoigner de la réussite sociale. Et il faut pouvoir mener son action jusqu’à son bon terme sans être interrompu·e, diverti·e, menacé·e par une instance de contrôle.

Mais (et comme je l’écrivais hier, les contradictions sont essentielles à creuser pour penser le réel) il y a une forme de rapidité de l’action qui peut aussi permettre sa durée. Car pour mener rapidement l’action, je suis contrainte de me concentrer et de ne jamais en perdre l’élan. Cette forme de vitesse maintient l’attention en éveil et la poursuite du geste de telle sorte qu’on oublie le défilement des minutes. Il faut pouvoir oublier le chronomètre pour aller vite. 

Là encore, les généralités (je pense par exemple aux multiples éloges de la lenteur) qu’on peut asséner touchent leurs limites dans les détails variables de nos expériences.

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