The Girl on a Bulldozer (Park Ri-Woong)

Comment agiriez-vous si vous pouviez vous passer de toute approbation sociale ?

L’héroïne du film que j’évoquais hier (Life is beautiful de Choi Kook-Hee), à l’occasion du Festival du film coréen à Paris, s’émancipe grâce à un désir résolu d’être aimée. Celle de The Girl on a Bulldozer de Park Ri-Woong se libère grâce à un désir résolu de rendre justice. Non pas simplement venger, mais rétablir la vérité et mettre un terme à l’humiliation. À tout prix. Dans les deux films, la vie menacée révèle et renforce l’urgence d’un désir. 

Gu Hye-Young rassemble un certain nombre de marqueurs stigmatisants (femme, jeune, mère décédée – la condition orpheline est dramatiquement discriminante dans la société sud-coréenne, père pauvre, un petit frère dont elle s’occupe et qui se fait malmener à l’école). Pourtant, les mauvais traitements qu’elle subit ne l’intimident jamais. Partout où elle va, elle se comporte et interagit avec les autres comme si elle était leur égale : elle n’a aucune déférence envers l’autorité. Ce conditionnement pourtant commun ne s’est pas fait chez elle. Elle n’a pas appris à accepter l’injustice au profit des classes dominantes. Son oncle (la seule personne qui ait l’air de se soucier d’elle) lui conseille de se protéger, de privilégier son intérêt et sa tranquillité, et lui rappelle que les gens comme nous ne sont jamais écoutés. 

Sidérée par cette lâcheté déguisée en pragmatisme, elle lui répond d’aller se faire voir… et s’en ira découvrir la vérité sur l’accident mortel de son père, sanctionner elle-même les coupables que le système socio-politique protège et brûler l’argent avec lequel on voudrait acheter son silence. Comme s’il lui était impossible de vivre autrement qu’en défendant la vérité et la justice. 

Au début du film, alors qu’elle reçoit une sanction pénale pour coups et blessures, la juge précise que la société devrait la remercier pour le courage qu’elle a eue d’intervenir comme elle l’a fait. Qu’elle soit dépourvue de besoin d’approbation et de protection la rend d’une certaine façon invulnérable : rien ne la rendra lâche. Rien n’aura raison de cette franche énergie qu’elle nous transmet.

Il y a quelque chose d’Antigone dans ce personnage. Comme s’il s’agissait d’enterrer dignement son père sous les gravats d’une humiliation corrigée, d’une égalité rétablie. Un rite funéraire magnifiquement mené, au volant d’un bulldozer. 

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