Prendre soin de soi. Séance du séminaire racontée par Claire

Merci à Claire pour ce compte-rendu du séminaire auquel elle participait pour la première fois. Merci et bienvenue dans la troupe ! 

14H. Peggy Avez, alias Simone, huit participant·e·s, un lundi après-midi dans les locaux de la coopérative /ut7 et une question ouverte : PRENDRE SOIN DE SOI. 

L’argumentaire de la séance nous avait été envoyé par mail, avec des suggestions pour s’y préparer, et vous pouvez le lire ici.

Il s’agit immédiatement de saisir un fil. A la suite de son précédent séminaire, Peggy inscrit sa réflexion dans le cadre du Discours sur la servitude volontaire de La Boétie. Premier constat : la recherche des plaisirs immédiats amène la docilité des citoyens. Plus précisément encore, ces « satisfactions immédiates » permettent non seulement de détourner l’attention, en un mot de divertir, mais aussi de compenser des « peurs » qui sont stimulées par le système. 

Étude de textes et cartes pour le temps de réflexion en binôme
Affiche-programme du 14/10/2019

Le piège possible de la critique

Quelle(s) alternative(s) alors ? La déconstruction critique est en effet acculée à deux impasses possibles. Soit elle ressasse des souffrances qui sont déjà stimulées par l’imaginaire social. Conséquence possible ? Elle interdit l’espoir et augmente notre sentiment d’impuissance. Soit elle masque les nuances et « opacifie les souffrances des êtres les moins visibles socialement ». N’oublions pas que nous sommes ici dans une perspective féministe et l’on devine ses impasses pour pouvoir résister aux dispositifs de domination. Faut-il pour autant abandonner la tension de la position critique ? Ne peut-on s’adonner qu’aux petites joies immédiates ou…au désespoir ?

C’est ici que se joue tout l’enjeu de la séance : le nerf de la philosophie est une alliance entre critique et thérapeutique. Une alliance, voire une identification même. Pour échapper à une dialectique négative, la critique se doit aussi d’être créative. Autrement dit, apporter du soin. Être thérapeutique. Là se distingue sûrement la philosophie de tous les autres courants du soin qui nous entourent, qu’ils s’appellent développement personnel ou pratiques managériales.

Critique + Thérapeutique

Dès lors, Peggy nous invite à remonter le fleuve à contre-courant de la singularité de la philosophie avec un parcours fléché de textes choisis. Grâce à sa lecture éclairée et érudite, nous avons pu saisir la force du sillon tracée par l’histoire de la pensée. Mon compte-rendu ne peut ici qu’être partiel et succinct par rapport à la profondeur des analyses proposées. Chacun·e des participant·e·s a pu aussi retenir ce qui a fait le plus de sens pour lui.

L’éclairage des philosophes médecins de l’âme

Contexte contemporain : l’aliénation par la gestion thérapeutique de soi

Sommes-nous de nouveau piégé·e·s ? Que ce soit par l’exposition standardisée du moi ou une responsabilisation excessive de l’individu, les sociologues du XXème siècle ont analysé le capitalisme, les nouveaux mécanismes porteurs de « servitude volontaire » et de ses souffrances vaines pour y échapper. Hannah Arendt nous avait déjà alerté du danger de la mécanisation de la question de la signification. Attention à ne pas confondre sens et finalité technique. 

De la liberté de se dénaturer

Au tour de Rousseau et même Hegel de nous rappeler de notre capacité à échapper de notre condition et de manifester notre liberté en « nous dénaturant ». Hegel évoque ainsi les tatouages et toutes les techniques par lesquelles nous nous approprions notre corps, tandis que Rousseau souligne la capacité à l’homme de faire aussi le mal… 

Vivre en cohérence – la philosophie antique

Nous arrivons aux sources de la philosophie et à ses origines thérapeutiques. C’est une ascèse, une manière de vivre. La philosophie est concrète. Précision importante toutefois pour les philosophes hellénistiques : il n’est pas possible de se soigner complètement. Philosopher, remettre en question, continue à créer de l’inconfort. L’objectif est bien autre que le développement personnel. La visée n’est en aucun cas l’apaisement ou la satisfaction immédiate.

Se relier à la nature – la philosophie antique

Le logos de l’âme doit viser l’harmonie avec le logos du monde. A nous de nous en inspirer pour prendre soin de la hiérarchisation des facultés de notre âme. La philosophie est donc une médecine de l’âme. Bientôt s’annonce pourtant la rupture des Modernes. Les formes littéraires qu’emprunte la philosophie se professionnalisent. Finies lettres et dialogues ! On ne va plus chercher dans la philosophie de quoi se sauver soi-même.

Peupler son esprit de représentations joyeuses – Descartes

Bien loin de la vision du cartésianisme habituel, Descartes nous invite à une démarche pragmatique. A la différence des Anciens, il acte l’écart entre théorie et pratique. Et, pour ce qui concerne l’action, la priorité va donc à la santé sur la vérité  (qui reste prioritaire sur un plan spéculatif)! 

Dire oui à la vie et se garder du ressentiment – Nietzsche

Le ressentiment est la manière la plus commune d’apaiser sa souffrance. En cause ? L’hyper-responsabilisation de l’individu. Après tout, c’est plus apaisant de se dire que « c’est la faute de X ! » Ne pas perdre de vue néanmoins que le soi est forcément chaotique. Nous sommes un ensemble conflictuel d’organes.

Prendre soin du besoin de penser

De nouveau, un moment clef avec la pensée de Hannah Arendt inspirée par la critique kantienne et sa différence établie entre Penser et Connaître. D’un côté, la raison, la faculté d’interroger, la signification, la pluralité. De l’autre, l’entendement, l’objectivité, la vérité. Autrement dit, le besoin de penser VERSUS le désir d’avoir raison. Et c’est ce besoin de penser qu’il nous faut absolument aujourd’hui préserver…

L’ouverture à l’Autre 

Tout au long de ces références, nous avons pu voir combien les philosophes pouvaient aussi être récupérés à leur insu. Pour exemple, pauvres Stoïciens mis aujourd’hui à toutes les sauces ! Avec clarté et pédagogie, préservant la pensée de toute sa complexité, Peggy construit peu à peu sa thèse pour nous amener à une conclusion étonnante.

Derrière le soin de soi : la relation à l’autre

En effet, derrière la question du « prendre soin » se niche la question de la relation. Et la résurgence actuelle de cette thématique et de cette attention accrue au soin témoigne davantage d’un symptôme : la pathologie de la relation. Ou comment fuir une logique instrumentale, telle que pratiquée dans les réseaux sociaux ? Comment sortir d’un moi présentable, aussi bien capable de se vendre que d’exposer ses souffrances ? Comment reconquérir peut-être un moi non codifiable et capable de se relier aux autres ? 

Prendre soin de soi, c’est aussi soigner sa capacité à s’attacher à l’Autre.

Place au jeu enfin où, en binôme, chacun·e a pu retenir un mot résonnant pour lui par rapport aux différents problématiques parcourues tout au long de ces passionnantes quatre heures. 

Synthèse collective de ce qu’on a approfondi en binôme

Prochaine séance : le 18 novembre

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