En général

« Souvent, ce n’est pas en général », m’a dit Gisèle ce matin, du haut de sa trottinette. J’ai souri : « Tu as tout à fait raison. » Et j’aurais aimé poursuivre la conversation qui s’annonçait passionnante… mais elle a foncé pour rattraper Gribouille qui nous attendait devant la maison. 

Contexte. Souvent, elles peuvent manger cinq tranches de brioche chacune. Mais en général, par exemple la semaine quand on a moins de temps, elles en mangent trois. 

En d’autres termes. En général, c’est-à-dire en dehors des exceptions qui peuvent arriver « souvent », elles mangent trois tartines le matin. Le « en général » désigne ce qui se produit dans la totalité des cas. Ou plutôt, dans la totalité des cas d’un même genre (genus), ici le genre des tartines de brioche mangées au petit déjeuner. Ou plutôt – puisqu’il y a des exceptions plus ou moins nombreuses – en général désigne ce qui est censé se produire dans tous les cas concernés. 

Pour être plus précis, le « en général » n’existe pas autrement que comme une énonciation (rien dans le réel n’existe « en général »). J’y énonce ce qui est censé se produire tout le temps, bien que je sache que ce n’est pas le cas. L’énoncé qui commence par « en général » présente les conditions auxquelles nous évaluerons une situation comme normale (trois tranches) ou comme a‑normale quoique possiblement fréquente (cinq tranches). 

L’énoncé de ce qui arrive le plus souvent ou en moyenne, sans entrer dans les détails (autre définition du dictionnaire pour « en général »), devient par la généralisation linguistique un élément de stabilisation du réel, une forme de régularité et de nécessité (Hume). Comme toute croyance même illusoire, elle produit des effets : j’anticipe mes achats de brioche sur la base des trois tranches en général. Il me faut donc souvent en racheter plus vite que prévu. Si les filles savent que trois tranches est ce que je considère comme normal, et si elles veulent me ménager ou me plaire, elles risquent de renforcer la norme en lui obéissant. 

Que l’énoncé inductif désigne une régularité du réel est une croyance illusoire. Mais ce type de généralisation n’en est pas moins utile pour s’orienter dans l’existence. À condition d’avoir à l’esprit que souvent (et heureusement !) ça ne se passe pas comme on le prévoit en général.

Bref, il faudra que je parle de Hume au petit-déjeuner demain matin. 

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