« Drive my car » de Ryusuke Hamaguchi

Vu hier, dans une petite salle du Métropole. Ce matin, un peu enrhumée donc embrumée, mais toujours suspendue au film…
Dès les premières images, je me suis mise à oublier l’inconfort de ma position (du bord gauche de l’écran, au second rang d’une salle comble, ce qui de mon point de vue est une bonne nouvelle). Je ne sais pas raconter les films ou les livres que j’aime. Les détails me subjuguent trop. Simplement, à un moment (celui du générique, qui arrive magiquement au bout de 40 mn), je me suis dit que j’étais heureuse de vivre, heureuse de savourer la beauté de ces images et de vivre le voyage des personnages. Cette phrase et son euphorie m’ont surprise : ne suis-je pas toujours heureuse de vivre ? toujours consciente de la chance que c’est ? Soit. Mais on ne vit souvent qu’à moitié, sous le poids de tout ce qui nous appauvrit, et des combats à mener pour survivre. J’ai presque honte de vouloir davantage de beauté, de finesse, de délicatesse, de précision, de détails, d’audace, d’art, de douceur tant nous sommes encouragé·e·s à nous réjouir de ce qui devrait nous endurcir. Le poids, la laideur de ce qui favorise les connivences et met la grâce à la marge.

Au lieu de cela, la beauté des solitudes qui se rencontrent et se libèrent, ça arrive aussi. Et c’est ce qui se passe dans le film. On ne se rencontre vraiment qu’à cette condition : vouloir vivre avec la conscience de ce qui nous a rendu·e profondément seul·e, au lieu de continuer à la fuir. Ça demande beaucoup de courage, et je me disais en me réveillant que c’était un film sur le courage. Ce courage dont nous manquons ordinairement et que les deux personnages font grandir, au contact l’un de l’autre.

Peut-être parce que c’est mon obsession, j’y ai donc vu une ode à la consolation. [Se] Consoler demande du courage. Le courage de pleurer sur nos ombres respectives, de nous serrer fort au milieu d’elles, en nous disant qu’il faut vivre et qu’un jour, nous nous reposerons. Le courage de chercher l’au-delà de la solitude et de ses cicatrices. Le courage de se relier autrement. Quel soulagement de voir un film qui ne fait pas de la consolation d’un homme et d’une femme une opération de séduction, un préliminaire du couple attendu. Mais l’enjeu d’une quête, d’une vie, d’une libération.

La pièce de Tchekhov travaille les personnages du film. Comme en abyme, en rentrant, avec des sushis pris sur le chemin, seule au milieu de l’animation des samedis soirs, je me laissais travailler (consoler ?) par des détails du film. Ces cigarettes, comme des souvenirs qu’ils cherchent à abandonner au vent.

Et puis ce rapport aux mots. L’art de créer l’ellipse qui, seule, peut montrer ce que les mots occultent. Parce que l’ellipse montre précisément ceci : les garanties que nous attendons des mots et des silences motivés par la peur sont illusoires. Ce qui se passe contre notre gré et que nous voulons taire se passe malgré tout. La vie déborde les jeux de contention, voire s’en nourrit. On perd inéluctablement les personnes tant qu’on n’est pas en mesure de se rencontrer soi-même, tant qu’on joue le rôle qui nous rassure, c’est-à-dire tant qu’on refuse le risque de parler de ce qu’on vit. Le deuil est aussi là, dans la tendresse que l’on peut en apprendre.

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