Décontraction (2)

Je me risquais hier à distinguer d’une part la tranquillité assurée par les privilèges, et d’autre part la décontraction nécessaire pour mettre en échec les dispositifs d’assujettissement (ou plus précisément encore ce que Foucault appelle la subjectivation ) auxquels les minorités (en fait, la majorité sociale) sont surexposées. Cette distinction peut paraître floue, anodine et/ou arbitraire. Mais j’aimerais tout de même la creuser : en réfléchissant de façon empirique à ce qu’on appelle souvent la « résilience », et qui procède plus largement d’une philosophie pratique de l’expérience minoritaire ou opprimée, cette décontraction me semble un ressort utile.

Sous un angle, il y a un non-sens à souligner les effets libérateurs d’une attitude décontractée, puisqu’au contraire, l’aliénation submerge l’individu d’inquiétudes, de douleurs et de pressions sociales. De sorte que la décontraction peut bien être subversive… elle reste l’affaire de ceux qui peuvent se permettre l’assurance de jouer avec les normes et ne craignent pas l’exclusion. Allons même plus loin : on peut deviner à l’allure plus ou moins (dé)contractée d’une personne la charge de violence sociale qui pèse sur elle. Le poids des normes, des discriminations et des mauvais traitements réduit l’amplitude des gestes. Sous des contraintes d’abord autoritaires, on apprend à se soumettre en adoptant la gestuelle attendue : rapetissée, discrète, hésitante. 

Mais précisément, la connaissance de ce processus indique un chemin : c’est aussi en adoptant une autre gestuelle qu’on peut se réapproprier sa volonté, ses désirs, ses convictions, etc. Il s’agit pour ainsi dire de saboter le processus d’assujettissement qu’on a subi. Cette dé-contraction ne peut donc pas être spontanée. On ne peut la viser qu’à travers des stratagèmes. Raison pour laquelle je glissais qu’on pouvait mimer la décontraction. C’est en la mimant qu’on l’incorpore. Tout comme Pascal écrivait avec acuité que c’est en accomplissant les gestes et rituels qu’on devient croyant. En faisant comme si.

« Car on s’accoutume ainsi aux vertus intérieures par ces habitudes extérieures. » (Pascal)

Mimer la décontraction peut aider à déployer un corps, à surmonter des peurs, à ressentir en soi une force qui se passe de l’approbation. Les cours de théâtre apprennent d’ailleurs cela. 

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