Le texte de l’épisode
Pour accompagner et prolonger votre écoute, vous pouvez télécharger le texte de l’épisode joliment mis en page par Hélène Francqueville.
La référence à Annie Leclerc
Vouloir philosopher depuis un “je” féminin… Inventer une parole philosophique, qui parle autrement pour pouvoir dire une autre expérience. Prendre le contrepied des normes qui clôturent le discours intellectuel. C’est cette nécessité humble et ambitieuse que travaille la philosophe Annie Leclerc, dans un ouvrage paru en 1974 et dont je n’avais bien sûr jamais entendu parler à l’université : Parole de femme. J’ai découvert le livre et la penseuse par hasard, il y a quelques années. Son audace tant intellectuelle que philosophique m’a marquée.
L’autrice – alors enseignante en philosophie au lycée – se lance dans une critique créatrice. Elle ne veut pas partir en guerre contre la domination du héros viril, maître de soi et des autres. Ce serait là, selon elle, se conformer à la hiérarchie des valeurs patriarcales qui promeut la supériorité du conquérant. Elle ne se contente pas de la déconstruire pour en dénoncer la violence. Elle ne veut pas réclamer pour les femmes le droit de vivre et de penser comme des hommes. Elle veut autre chose : dire et penser ce qu’en tant que femmes, on a toujours dû taire, ce qui a été dévalorisé au nom des prérogatives masculines que sont le pouvoir, l’argent, la propriété.
Les victoires que les hommes ont toujours adulées abîment le monde et détruisent des vies. Pourquoi donc leur donner raison en jetant un regard dédaigneux sur les occupations quotidiennes des femmes – qui prennent soin de ce qu’ils ignorent ou détruisent ? Quelle serait la pertinence d’un féminisme qui proclame le droit des femmes de renoncer à leurs valeurs de soin et de paix ainsi qu’à leurs jouissances propres ? Pour Annie Leclerc, Simone de Beauvoir répète le mépris masculin pour les choses féminines (maternité, soins quotidiens, tâches domestiques, etc.). Et je dois avouer qu’aussi instructive a été pour moi la lecture du Deuxième sexe, je n’en avais pas moins été surprise par le ton parfois méprisant, hautain et humiliant avec lequel son autrice dépeint les goûts et valeurs des femmes.
La perspective critique d’Annie Leclerc est joyeuse : c’est une philosophie de la jouissance pensée comme expression spontanée des actions du corps, comme ce qui précède sa répression par la violence sociale.
« Or, l’être-au-monde, le vivre, est d’abord jouissance. Voir, toucher, entendre, c’est d’abord jouir.
Mais aussi penser, c’est d’abord jouir.
Que la pensée cesse de se trahir en écartant toujours de son souci cela même qui la porte et la féconde, la jouissance. »
Vous trouverez ici les extraits, mais je vous recommande vivement la lecture de l’ouvrage, dont certains longs passages importants ne figurent pas dans nos support de travail (l’histoire qu’elle imagine pour éclairer l’origine de la domination masculine, à la façon dont Rousseau éclairait l’aliénation sociale par sa description imaginaire de l’état de nature ; le magnifique récit de son accouchement, et de nombreux paragraphes d’une tonalité lyrique peu courante en philosophie contemporaine!).
Souhaitez-vous que je lui consacre un épisode ?