Pavane

Ravissement en trois actes tout à l’heure, lors d’un concert de l’Orchestre national de Lille : le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, le Concerto pour orchestre de Bartok et, le bis (merveille !), la Pavane de Fauré. En guise de trame commune, la magie des contrastes qui se passent de la pesanteur des contours, façon impressionniste. La vie, en somme. 

Pendant le concert, je me disais (entre autres) à quel point il est regrettable qu’on fasse de la philosophie une affaire de thèses. Un livre ou un·e philosophe devrait défendre une thèse. Comme s’il s’agissait de pitcher la pensée. De prendre parti pour un pan de la disjonction. Mais quiconque veut s’efforcer de penser la vie et le réel ne peut pas défendre une thèse sans penser qu’elle est aussi fausse (sous d’autres aspects, dans d’autres conditions). À moins d’arrêter de la penser. 

En écoutant un adagio lumineux surgir du pupitre des violons, interrompant la marche inquiète des cuivres, ou encore une joyeuse danse conclure un concerto pourtant empreint de désespoir, j’admirais cette capacité qu’a l’art de faire vivre les contradictions. De s’en nourrir, de les sublimer, et par là de nous aider à les accepter. 

Et je regrette qu’on subordonne trop souvent le domaine des idées à la tyrannie de la disjonction. Sans doute est-ce plus facile de vendre un essai si on le réduit à une idée simple. Sans doute est-ce plus facile de s’imposer si l’on n’a pas l’honnêteté de penser l’idée défendue jusqu’au point où elle est fausse. Mais c’est aussi plus ennuyeux. Qu’aurait-on besoin de penser si une idée n’était pertinente qu’à la condition d’invalider l’idée contraire ? À quoi bon penser encore s’il ne faut pas se contredire ? Au lieu de voir la contradiction comme le signe d’une pensée défaillante (parce qu’elle n’a pas correctement respecté les règles de la logique), il faudrait au contraire y voir l’indice d’une pensée en acte.

Hegel prévenait du caractère superficiel, abstrait d’une pensée qui s’en tient aux disjonctions. Une pensée devient au contraire concrète lorsqu’elle comprend comment la réalité (Wirklichkeit) s’effectue (wirken) par contradictions. 

Il faudrait apprendre à se passer des thèses figées, rassurantes et malhonnêtes : elles manquent le mouvement des choses et de la vie. S’efforcer de penser de façon polyphonique, par variations, par mosaïques. Risquer la cacophonie pour qu’une phrase, une note, dise quelque chose du réel.

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