L’art qui répare

Après la projection de Nous les femmes. L’art qui répare, de Christian François

Hélène m’avait proposé de la rejoindre jeudi soir dernier au Théâtre du Nord, pour la projection du documentaire Nous les femmes, dans le cadre d’une carte blanche donnée à l’artiste Corinne Masiero. Inutile d’en savoir davantage, je suis de toute façon heureuse de revoir Hélène, de retourner au théâtre et qu’il y soit question des femmes. 

Violences sexistes et sexuelles. Conformément à la thématique, on nous annonce que le film est dur. Il nous choquera. Précaution qui me semble un tantinet optimiste : dans un monde meilleur en effet, nous les femmes serions choquées d’apprendre les actes barbares fréquemment subis par les unes et les autres depuis notre petite enfance. 

Sans doute les hommes présents dans le public ont-ils découvert des choses. L’un d’eux d’ailleurs a partagé après la projection sa colère et son indignation, avec des larmes franches et alliées. Le soutien humble et vigoureux des quelques hommes sur scène et dans le film (conjoints, producteur, réalisateur) insuffle de l’espoir et ça m’a fait du bien. L’altérité – heureusement – n’empêche pas l’empathie, l’amour. L’art répare aussi en permettant une lutte partagée et une compréhension que les barrières sociales s’efforcent d’empêcher.

Aussi. Car ce que l’art répare d’abord dans le film, c’est le pouvoir de dire et d’agir de femmes intimement marquées par de multiples formes de violence sexuelle. Pour une grande partie du public, le film n’a peut-être pas été sidérant. Il ouvre au contraire un par-delà de la sidération. Sidération enfouie dans les mémoires bâillonnées que certaines formes d’art peuvent libérer. Humiliations, insultes, abus pendant l’enfance, incestes, viols… la liste de ce qu’il faut cacher aux yeux et aux oreilles de la société est longue et sans hiérarchie. 

Suivant le groupe Les vaginites, le film donne à voir des femmes qui retrouvent le pouvoir de crier les atrocités vécues dans ce qu’on appelle l’intimité. Au cœur d’une époque #metoo, il ne faut pas seulement répéter que les femmes doivent parler. Il faut surtout créer des renforts et des espaces pour toutes ces voix cassées par la violence patriarcale. Et comme le répète Corinne Masiero, une femme parle quand elle peut. Il n’y a pas d’injonction à dire ce qu’on n’a pas encore le pouvoir d’exprimer. 

En criant littéralement ce que les unes et/ou les autres avons vécu, sans langue de bois, sans métaphore ; en criant la réalité des faits, les chanteuses des Vaginites et celles qui les rejoignent sur scène de façon impromptue, ôtent au patriarcat l’une de ses principales armes : le tabou. 

Je n’ai donc pas été choquée par le film. Indignée, oui. Revigorée aussi, par l’admiration. Attendrie, surtout. Par le fil invisible reliant toutes ces petites filles abîmées autour de moi, pleurant avec des yeux adultes, sur les sièges d’un théâtre comme sur la scène. Ces petites filles qui, en cessant de taire les laideurs qui leur ont été infligées, chacune à sa façon et à son rythme, travaillent à rendre le monde plus vivable. 

Au nom du goût du beau, l’argument bourgeois voudrait qu’on omette de dire l’abject. Quelle courte vue ! Si l’on veut un monde plus beau, alors il faut dire l’abject qui terrorise les gorges et les ventres des femmes et des enfants.

Le film (52 mn) sera diffusé sur France 3 ce jeudi 2 mars à 22h50. 

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