Le texte de l’épisode
Pour accompagner et prolonger votre écoute, vous pouvez télécharger et imprimer le texte de cet épisode n°4 (saison 2), soigneusement mis en page par Hélène Francqueville.
Une minute pour comprendre la thèse de Carol Gilligan dans Une voix différente. Pour une éthique du care
Professeure de psychologie sociale à l’Université de Harvard, Carol Gilligan a mené des travaux qui ont inauguré ce courant désormais largement reconnu : l’éthique du care. Son livre de 1982, intitulé en français Une voix différente. Pour une éthique du care, rassemble les expériences de terrain et la thèse fondatrice.
Contre la dévaluation sexiste en vigueur dans la tradition de psychologie morale, notamment celle de son collègue Lawrence Kohlberg, Carol Gilligan soutient que les valeurs structurant le raisonnement moral chez les femmes sont différentes (et non inférieures !) de celles structurant le raisonnement moral chez les hommes, pour des raisons culturelles. Là où Kohlberg, à la suite de Piaget, considérait que les femmes ne parvenaient pas au niveau d’abstraction avec lequel les hommes traitent leurs divergences et leurs négociations par des règles, Gilligan décrypte deux paradigmes éthiques genrés, culturellement transmis par l’éducation.
Sa démarche part donc de nombreux entretiens avec des jeunes hommes et des jeunes femmes, collectés et résumés dans l’ouvrage. Ces entretiens mettent en évidence que, pour chaque genre, les priorités mises en balance dans les choix éthiques sont conçues dans des termes radicalement hétérogènes que l’on peut résumer ainsi : les femmes pensent les dilemmes éthiques dans les termes d’une éthique du care tandis que les hommes les pensent dans ceux d’une éthique de la justice.
« L’impératif moral qui ressort continuellement de ces interviews avec des femmes est une injonction à prendre soin [care] du bien-être de soi et d’autrui, une responsabilité envers le monde afin d’en discerner les maux « réels et reconnaissables » et de les soulager. L’impératif moral des hommes apparaît plutôt comme une injonction à respecter les droits d’autrui afin de protéger les droits à la vie et à l’épanouissement de l’individu de toute interférence. »
On comprend donc que les préoccupations éthiques des femmes sont celles qui leur ont été déléguées par la culture patriarcale et qui, par là, ont été méprisées. L’infériorité morale qu’y ont vu les psychologues en est la marque : ce qu’on a historiquement délégué au dévouement des femmes est simultanément devenu comme méprisable, subalterne sous le regard dominant des hommes. Pourtant, comme le souligne Gilligan, cette priorité donnée au bien-être et aux relations « corrige le potentiel d’indifférence d’une morale de non-interférence et dirige l’attention masculine, jusqu’alors axée sur la logique, sur les conséquences d’un choix. » Et même les hommes éprouvent cette violence intolérable qu’une éthique de la non-interférence peut cautionner.
Comme souvent, rien ne vaut la lecture de l’ouvrage pour comprendre la finesse des observations, pour saisir les détails de l’analyse, et pour mieux se comprendre soi-même. Je vous le recommande très très vivement !