Le féminisme doit libérer de la haine de soi. Avais-je noté un jour sur un post-it, resté depuis lors au-dessus de mon bureau.
En appliquant une compresse chaude sur mon œil droit, absurdement enflammé depuis la nuit dernière (je bénis les conseils thérapeutiques dominicaux d’un ami ophtalmologue !), j’en profitais pour réfléchir à la phrase du post-it. C’est que le modèle patriarcal ne fonctionnerait pas sans cette part de haine de soi. On apprend à obéir et à faire obéir en humiliant, en soi et chez les autres, ce que les normes dévalorisent et subordonnent. La résistance féministe – par son travail critique et créatif d’alternatives – doit donc libérer de la haine de soi.
C’est au fond la tâche de toute philosophie critique – me disais-je ensuite, le temps de pose de la compresse étant relativement long. Puisqu’elle s’efforce de comprendre les souffrances sociales, elle doit aussi éviter de se perdre dans le ressassement, et par là de les renforcer. Elle doit valoriser des pistes, des expériences, des questions, des itinéraires, qui fabriqueront non pas une méthode uniforme, mais des bribes de sagesse féministe. Une sagesse qui ne prend plus pour modèle la tranquillité apportée par des privilèges sociaux, mais la joie d’une vie qui – pour reprendre les mots de Nietzsche – ne se retourne plus contre elle-même (qui a donc pris son indépendance à l’égard des flagellations en tous genres).