[Paris, train de retour en retard]
Échange informel ce midi, autour du film Le Magnifique avec Jean-Paul Belmondo, récemment disparu. Je ne l’avais jamais vu, mais comme on en parle beaucoup et que je suis très ignorante, je l’ai regardé hier soir, avec l’espoir d’une bonne surprise tout de même. Quelques scènes absurdes m’ont fait rire (comme la scène des traducteurs au début), mais pour le reste, j’ai surtout attendu la fin. Les clichés sexistes (encore que le viol collectif et toute cette séquence ne procèdent tout de même pas du cliché) et homophobes à la fin (la façon dont Bob Sinclar devient subitement « efféminé » lorsqu’il déclare sa flamme à son ancien ennemi) m’ont tellement consternée.
Mais si je le note ici, c’est qu’il y a à mon sens un intérêt à découvrir ou redécouvrir les œuvres du passé, non pas tant pour le plaisir qu’elles pourraient nous procurer (plaisir nécessairement limité par l’omniprésence du sexisme), mais pour la connaissance qu’elles nous donnent de notre propre culture.
À un autre degré, je suis interpellée par le rapport que nous avons avec les films qui ont pu nous enchanter il y a 20 ans, et dont nous constatons aujourd’hui – lorsqu’on les revoit – les travers normatifs. Sans procéder de la comédie et de ses caricatures, de « grands » films qui pouvaient nous ravir, peuvent aujourd’hui nous décevoir.J’en parlais avec une amie récemment : notre mémoire nous rappelle le plaisir laissé par le film il y a longtemps, de sorte que le revoir créé une déception supplémentaire. Le film ne déçoit pas seulement notre goût actuel, il déçoit de surcroît notre mémoire, qui nous attache à des œuvres comme si elles faisaient partie de notre identité. On peut avoir ainsi du mal à s’en détacher. Je l’ai ressenti avec le cinéma de Woody Allen et, plus subtilement, avec celui de Sidney Pollack (dans lesquels pourtant j’aimais la représentation de la femme indépendante et engagée, mais qui ne me suffit plus aujourd’hui, notamment parce que la virilité y reste associée à des questions de pouvoir, de maîtrise, d’irascibilité aussi). Et d’autres encore.
L’analyse critique des œuvres du passé affecte aussi le regard que nous portons sur nous-mêmes, sur nos désirs, nos peurs, nos idéaux, nos rêves ancrés dans notre jeunesse. Ce que beaucoup pourront trouver inconfortable. C’est pourtant tout l’intérêt de l’héritage culturel : en questionnant notre culture, on ne l’efface pas. Mais on la renouvelle, on redonne vie à l’héritage au lieu d’en faire une matière intouchable, inerte, idéologique. On fait de l’héritage une source de progrès parce qu’il nous donne à voir ce dont on peut aussi peu à peu se libérer. Ricoeur faisait ainsi de l’interprétation des œuvres de culture la médiation entre soi et soi-même.