Pourquoi sommes-nous toujours si occupé·e·s et si préoccupé·e·s ? Un nouvel épisode du podcast avec Blaise Pascal et sa pensée du divertissement.
Dans le deuxième épisode du podcast de Simone et les philosophes, nous avions vu comment Sénèque expliquait notre plainte au sujet de la brièveté de la vie : c’est parce que nous nous croyons immortels que nous nous agitons dans tous les sens, perdant ainsi notre temps à fuir le présent. A contrario, la vie est assez longue pour qui adopte dès maintenant un mode de vie approprié, centré sur le présent. Notre inconscience eu égard à notre mortalité nous rend inconstants et par là hyper occupés.
Et si, ce n’était pas le manque de conscience de notre mortalité qui nous conduisait à nous disperser, mais l’inverse… je veux dire… et si nous nous agitions de tous côtés précisément pour nous créer l’illusion d’être immortels, de ne pas avoir à voir les limites du temps que nous avons à vivre ? Car après tout, en courant, nous oublions – un instant au moins – nos faiblesses et notre mortalité. C’est cette manière de fuir la conscience de notre mortalité que Blaise Pascal nous permet de comprendre à travers son concept de « divertissement ».
Selon le philosophe, nous sommes toujours occupés et soucieux parce que nous cherchons toujours de quoi nous divertir. Nous fuyons le repos plus que nous le ne ratons…
Citations extraites des Pensées de Blaise Pascal :
« Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser. »
« De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu’on court ; on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit. »
« Ce n’est donc pas l’amusement seul qu’il recherche. Un amusement languissant et sans passion l’ennuiera. Il faut qu’il s’y échauffe, et qu’il se pipe lui-même en s’imaginant qu’il serait heureux de gagner ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui donnât à condition de ne point jouer, afin qu’il se forme un sujet de passion et qu’il excite sur cela son désir, sa colère, sa crainte pour cet objet qu’il s’est formé comme les enfants qui s’effraient du visage qu’ils ont barbouillé. »
« Ils s’imaginent que s’ils avaient obtenu cette charge il se reposeraient ensuite avec plaisir et ne sentent pas la nature insatiable de la cupidité. Ils croient chercher sincèrement le repos, et ne cherchent en effet que l’agitation. Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l’occupation au-dehors, qui vient du ressentiment de leurs misères continuelles. Et ils ont un autre instinct secret qui reste de la grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n’est en effet que dans le repos et non pas dans le tumulte. Et de ces deux instincts contraires il se forme en eux un projet confus qui se cache à leur vue dans le fond de leur âme, qui les porte à tendre au repos par l’agitation et à se figurer toujours que la satisfaction qu’ils n’ont point leur arrivera si, en surmontant quelques difficultés qu’ils envisagent, ils peuvent s’ouvrir par là la porte au repos.
Ainsi s’écoule toute la vie, on cherche le repos en combattant quelques obstacles. Et si on les a surmontés, le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte. »
« Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »
« La faiblesse de l’homme est la cause de tant de beautés qu’on établit, comme de savoir bien jouer du luth. »
Citation de Pierre Macherey, Petits riens. Dérives et ornières du quotidien, Éditions Les bords de l’eau, 2009
« Le divertissement est précisément le miroir où l’homme projette simultanément sa misère et sa grandeur, et peut ainsi se voir tout entier tel qu’il est. Même si les raisons qu’on se donne pour se divertir sont fallacieuses, on a donc bien raison de se divertir. »