L’homme qui médite est un animal dépravé… Cette expression de Rousseau me revient souvent à l’esprit. Pour la critique de la domination intellectuelle qu’elle résume d’un revers de main (méditer ici signifie brasser des idées). Mais aussi pour la pertinence psycho-physiologique qu’on retrouvera entre autres chez Spinoza et Nietzsche. Rousseau mettait en cause la croyance selon laquelle il y a quelque chose de bon et de désirable à passer ses journées vouté au-dessus d’une table à lire et écrire des idées…
Ordinairement, on repère une somatisation quand on tombe malade. Seulement quand on tombe malade. Quelqu’un me disait récemment que, quoique triste, angoissé et fumant beaucoup, il ne somatisait pas. Mais la tristesse, l’angoisse et le besoin de fumer en grande quantité ne sont-ils pas des somatisations ? C’est-à-dire des états corporels qui accompagnent de façon plus qu’étroite les idées qu’on se raconte (et qui n’en sont pas des causes antérieures, dissociables). Je repensais dans la conversation aux Principes de psychologie de William James : je ne pleure pas parce que je suis mentalement triste, mais c’est en pleurant que je perçois ma tristesse. En d’autres termes, la tristesse est corporelle. Comment peut-il en être autrement ? Comment même séparer les idées – dont je prends conscience par les formulations que j’élabore – des postures, gestes, actions que j’effectue ? De sorte qu’on ne peut pas changer la couleur de ses idées sans adopter une certaine série de gestes (par exemple prendre l’air, pratiquer un sport, se redresser, toucher un instrument, regarder les autres et leur parler, etc.). L’idée peut-elle être autre chose qu’une suite plus ou moins confuse de mots qui accompagne une sensation ou une suite de sensations ?