J’avais annoncé en novembre, avant l’accident, que je parlerai des dramas coréens. Je le fais enfin, avec cette note du jour très fragmentaire. Ce n’est très probablement qu’un début !
Depuis sept mois, je me passionne avec assiduité pour les dramas coréens. Même lorsqu’ils me déplaisent sous tel ou tel aspect, je trouve le plus souvent un intérêt à les visionner ou au moins à les survoler. Plusieurs raisons motivent mon désir d’explorer le vaste monde des séries coréennes. La plus saillante tient à la place qu’y occupe l’enfance, a fortiori l’enfance violentée. J’y trouve un espace d’identification, de compréhension et de consolation, peut-être même une langue ou une voix qui m’a toujours manqué. Une revanche prise sur les tabous et les stéréotypes stupides qu’on entend au sujet des enfances « difficiles ».
Dans les dramas coréens, la monstration de l’enfance traumatisée est un ressort narratif fréquent qui ne dessert pas l’envergure des personnages. On ne conditionne pas le héros ou l’héroïne à devenir un parent violent ou un serial killer parce qu’il ou elle a été brutalisée enfant. Ce cliché si réducteur qu’on trouve souvent en France en particulier. Non seulement on se connecte émotionnellement aux personnages principaux parce qu’on perçoit leur souffrance passée et ses conséquences. Mais la violence infligée y est présentée comme intolérable. Violence parentale (physique, psychique), abandon (lié à la folie ou à l’extrême pauvreté), discriminations subies par les enfants adoptés, enlèvements d’enfants… Les souffrances des enfants dans la société sud-coréenne sont traitées comme des souffrances sociales : elles ne sont pas édulcorées par un universalisme psychologisant.
Les blessures d’enfance des personnages ne sont pas envisagées comme des peines universellement humaines qu’on doit surmonter en parlant à son enfant intérieur. On y montre très souvent comment des personnages réalisent leurs projets, se développent, apprennent à prendre soin d’eux, s’aiment, tout en portant en eux des enfances traumatisantes. Le caractère intolérable des violences subies n’est pas absorbé par une thérapeutique idéaliste. Le traumatisme de l’enfant a une cause sociale et il faut la montrer.
En fait, j’y trouve une consolation qui m’a toujours manquée. Sans doute parce que j’ai vécu en exil dans des milieux privilégiés, mon enfance était trop différente. Trop de violences sociales. Incommunicable. Même les joies ne peuvent être dites lorsqu’elles marquent votre altérité. On en parlait l’autre jour, avec une amie adoptée : dans la solitude du déracinement, on apprend à vivre comme si l’on n’avait pas de passé. Cela a un coût. Au moins celui de l’isolement. Avoir une enfance, une vraie, avec un foyer, des photos, des soins, peut-être même des cousinades et des vacances, c’est un privilège qui vous donne l’autre privilège de pouvoir en parler et de vous rendre par là digne d’estime. Une enfance marquée par la violence est un fardeau qui vous fabrique l’autre fardeau du silence humilié.
Je trouve donc consolation dans ce que j’appelle l’intelligence sociale, valorisée avec des degrés de qualité variables selon les dramas. L’intelligence comme capacité à prendre le contrepied des stigmatisations, et à admettre l’infinie variété des devenirs possibles d’un traumatisme (la liberté ?). L’intelligence comme capacité à contester l’injustice et à briser la solitude générée par elle.
Un exemple, tout frais, tiré d’un épisode vu hier soir. Un personnage autiste (extrêmement bien joué) questionne son frère au sujet de Barbe-bleue. Faut-il vivre seul dans un château quand on est différent ? C’est pour ainsi dire la question en filigrane de tout le drama, où l’héroïne – asociale, souffrant d’un « trouble de la personnalité » – vit dans un château et surtout dans la terreur des traumatismes infligés par ses parents durant son enfance.
Ce qu’il y a aussi de consolant dans ces fictions : la solution est toujours dans la force d’un lien (le plus souvent amical ou amoureux, parfois familial lorsque l’affection et le respect prennent le pas sur les abus d’autorité traditionnels). L’isolement créé par des traumatismes et leurs stigmates cesse, le jour où au moins une personne vous accepte et contribue à vous protéger. Vous console donc.