On appelle souvent divertissement l’activité non contrainte et source de plaisir. Plaisir qui aurait l’effet pernicieux de nous empêcher de penser (Platon, les siècles de pensée chrétienne, et aussi bien sûr Pascal). Au contraire, il y a des activités non contraintes et sérieuses qui nous feraient penser, ou plutôt montreraient qu’on pense.
Mais ces activités dites intellectuelles ne sont-elles pas aussi des divertissements ? La joie intellectuelle dont parlait Descartes, le loisir de philosopher et le bonheur contemplatif d’Aristote, l’hybris même que les Grecs blâmaient chez les premiers philosophes et leur prétention à connaître l’ordre du monde, etc. La pensée philosophique ne nous passionne-t-elle pas précisément parce qu’elle nous divertit d’autre chose ? Du quotidien, de notre peur de l’absurde, de certaines douleurs, de l’ennui, de la contrainte utilitaire, dont elle nous détourne par le plaisir de s’amuser avec des idées, des thèses, des textes, des postures, des visions du monde, des problèmes… Pourquoi tient-on à opposer activité intellectuelle et divertissement ? Si ce n’est pour divertir certains par le sinistre plaisir qu’ils prennent à mépriser les plaisirs des autres. Et tenter de faire oublier que le domaine « intellectuel » a lui aussi sa machine industrielle et commerciale.
Ce qui m’a initialement plu dans la découverte de la philosophie, ce n’est pas qu’elle résolvait des problèmes sérieux de ma vie d’adolescente puis d’adulte. Problèmes qui, sans doute, m’ennuyaient. C’est au contraire qu’elle m’en divertissait, plus intensément et plus durablement que toute autre activité, et que sa pratique ne supposait pas d’être riche : il suffit de réfléchir.
Un divertissement n’est pour autant pas nécessairement stérile : il produit des effets pratiques et variés, comme toute activité. Il peut nous transformer, nous élever et nous perdre, nous isoler et nous rapprocher. Toutes sortes de choses dites sérieuses voire vitales n’ont été crées que parce que des gens ont eu envie ou besoin de se divertir. Heureusement, certain·es d’entre eux se sont amusé·es à faire de la philosophie et à nous transmettre leurs trouvailles.