Qu’as-tu envie de vivre ?
Dans le métro parisien hier soir, entre /ut7 et le Festival du Film Coréen, je poursuivais en solo certaines conversations du jour. En particulier celles qui concernaient des violences ordinaires subies par les femmes. Il y a quelque chose de stimulant dans ces libres conversations. Non seulement pour les bribes de récits et observations que nous y partageons, mais aussi pour la matière à penser que ça remue. On passe d’une idée à une autre parce qu’on ne se satisfait pas de la précédente, qu’on continue d’essayer de comprendre néanmoins. Et que l’altérité nous en empêche. Il y a toujours quelque chose qui cloche, ce qui incite à penser plus loin.
Bref, entre deux stations, je trouvai ce qui me tracassait : dans ces conversations animées par un souci pourtant féministe, notre attention reste majoritairement portée sur les hommes, fût-ce à travers le récit de ce qui est arrivé à une femme. Que font les hommes ? Que ne font-ils pas ? Que pensent-ils ? Que ne pensent-ils pas ? Comment peuvent-ils écouter ? agir ? comprendre ? progresser ? L’intérêt exprimé pour ce qui arrive aux femmes opère comme un court tremplin : on approfondira bien plus longuement ensuite ce qu’il se passe pour les hommes. J’ai observé moult fois l’efficacité de ce même tremplin dans des conversations entre femmes.
Dans les points de suspension de ces conversations quelque chose ne devait pas susciter notre questionnement : de quoi la femme impliquée par la situation a‑t-elle envie ? Qu’est-ce qui la meut, au-delà de ce qu’elle a subi ? Comment passer de l’évocation de ce qui l’opprime à ce qu’elle veut (et a été contrainte de réprimer) ?
De sorte que je me disais cette chose toute simple. Qu’as-tu envie de vivre ? est une question alternative. Une question féministe. Une sollicitation émancipatrice. Parce que quand une femme exprime une douleur (ce qui est nécessaire), c’est qu’elle a au fond envie de vivre d’autres choses. Ce sont ces autres choses qui feront ses propres joies, ses propres moteurs. S’y intéresser, c’est aller au-delà du constat critique. C’est opérer un tournant dans la conversation. C’est changer la société en considérant les aspirations et les rêves des femmes.
Me serais-je souvenue de cette réflexion souterraine si elle n’avait été justement ce soir-là au cœur du film d’ouverture du festival ? Dans Life is beautiful de Choi Kook-Hee, Se-Yeon apprend qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre. Invisible pour ses enfants ados, méprisée par son mari, elle constate qu’elle est malheureuse depuis bien longtemps. Faute d’amour. Et elle se libère en dressant une liste : la liste des dix choses qu’elle veut vivre. En formulant ce qu’elle a envie de vivre, l’attention (la sienne, puis celle de ses proches) est enfin tournée vers ses désirs les plus chers.